Exemple 5. Niveaux Licence & Master
Intégration aux cours magistraux
du Projet « Droit & Opéra » (Éditions LexisNexis)
(cours magistraux, Université Toulouse Capitole, année 2023)
1. De quoi s’agit-il ?
On a voulu terminer le présent dossier en proposant deux aspects concrets ou matériels (par des publications) disponibles auprès de tout étudiant en Droit (et donc pas seulement destiné à celles et à ceux de la Faculté ou l’enseignant est affecté), publications qui toutes deux incarnent le Pop’Droit mais ce dans deux registres et catégories culturels sciemment distincts.
En effet, le lecteur pourrait croire que le préfixe « Pop » du Pop’Droit n’engage l’enseignant qu’à solliciter des référents de culture populaire ou contemporaine pour ne pas dire des éléments démagogues de « culture jeune » à destination d’un public « jeune ». Le croire serait avoir mal lu ou plutôt mal compris la démonstration.
Le Pop’Droit s’il a été révélé par la Pop ’culture est aussi associé au mouvement Droit & Littérature par exemple.
Il ne néglige ou ne privilégie donc aucune culture ou aucun aspect cultuel en particulier et ce, parce que l’usage culturel n’est (et ne doit être) qu’un prétexte à une étude, à une transmission et à une discussion juridiques.
En l’occurrence, à partir d’un ouvrage et d’un projet que l’enseignant a co-dirigé (aux côtés du maestro, chef d’orchestre de la formation des Talens Lyriques, Christophe Rousset ainsi que du Président honoraire de la section du contentieux du Conseil d’État, Bernard Stirn), l’ouvrage Entre Droit & Opéra (Paris, LexisNexis ; 2020), il a été intégré à différents cours magistraux plusieurs de ces extraits avec un but identique aux propositions précédentes : créer de l’interaction Pop’Droit. Les extraits ici sélectionnés ont été entièrement rédigés par l’auteur.
2. Quel public était visé et/ou y a participé ?
En l’occurrence, il a été décidé d’intégrer plusieurs des apports de l’ouvrage (en reproduisant ici (pour des questions de propriété intellectuelle) uniquement des extraits dont nous sommes l’auteur exclusif) à plusieurs des cours dont nous sommes titulaires et par exemple :
- en droit constitutionnel (Licence I) s’agissant des lieux « opéras » en lien avec des événements d’histoire constitutionnelle ;
- en droit administratif (Licence II) s’agissant d’une jurisprudence administrative (CÉ, 27 juillet 1923, Gheusi) emblématique ;
- en droit du service public hospitalier (Master II) s’agissant d’une jurisprudence administrative (CÉ, Sect., 06 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence) également emblématique du droit des services et de de la commande publics ;
- en droit du service public (Master I) par exemple avec l’arrêt dit Astruc.
3. En quoi est-ce (aussi) du Pop’Droit ?
L’introduction d’éléments entre opéra & Droit dans plusieurs des cours est aussi du Pop’Droit en ce qu’elle traduit les engagements et/ou préceptes suivants :
- elle injecte dans le programme une part de « culture » associée à la transmission du Droit : ici s’agit évidemment d’ouvrir un pan culturel lyrique ; ce qui s’inscrit directement dans le mouvement Droit & Littérature et, plus largement, dans le projet Law as Culture auquel nous sommes singulièrement attachés.
- Le but évident de l’usage prétexte d’un objet ou d’une image sera clairement de favoriser une interaction avec un ensemble d’étudiants qui, habituellement, en cours magistral a plus tendance à seulement écouter passivement. Poser des questions directes sur ce qu’est l’objet selon eux, force cette interaction et cette participation désirées.
- Ceci ne néglige pas l’aspect ludique de l’apprentissage juridique ce qui se concrétise ici par exemple en rappelant des éléments personnels (mémoire kinesthésique) des personnalités impliquées.
- Enfin, cela tente aussi de « connecter à l’actualité » ou à la réalité contemporaine d’une branche juridique des éléments culturels dans lesquels elle agit.
4. Extraits témoignages
En droit constitutionnel, avec des étudiants de première année, on diffuse par exemple cette image :
Puis l’on explique… que les Opéras ont aussi été des lieux… de pouvoir(s) !
Selon l’Encyclopédie de d’Alembert (1717-1783), « Il y a chez toutes les nations deux choses qu’on doit respecter : la religion et le gouvernement : on pourrait ajouter qu’en France il en est une troisième : la musique du pays ». Et lorsque cette musique est lyrique, on lui a, dès sa reconnaissance officielle française en 1669 consacré un lieu : l’Opéra avec une majuscule pour le distinguer du genre (avec une minuscule). Ce lieu sera si fascinant qu’il deviendra même un objet de fiction(s) par exemple au travers des loges n°01 (celle du chef de l’Etat) et n°05 (celle du directeur) du Palais Garnier romancées par Gaston Leroux (1868-1927) dans son Fantôme de l’Opéra. Rappelons en outre que les Opéras se trouvaient à proximité immédiate des centres de pouvoir(s) et de Droit et avaient même parfois niché au cœur des Palais royaux nationaux. De là à considérer que Bastille, Favart et Garnier forment des palais nationaux, il n’y a qu’un pas, que l’on franchira sans difficulté. Jusqu’à très récemment, il était du reste inconcevable qu’une visite d’Etat ne se déroulât point sans un passage obligé au creuset de la culture française : l’Opéra de Paris. C’est très certainement aussi pour cela que lors des guerres on fit toujours protéger les palais de l’art lyrique qui sont aussi des symboles de la puissance française. On prendra ici, cela rappelé, trois aspects choisis exposant les Opéras comme lieux de spectacles politiques, juridiques et même révolutionnaires.
Quand le public lyrique prend le pouvoir :
de la Toulousaine à la Brabançonne
De la Toulousaine au public politique. Avant d’aborder l’exemple le plus connu des prises de pouvoir par un public d’opéra (le cas belge de 1830), on relèvera qu’au XIXe siècle, il était d’usage dans les maisons d’opéra de province surtout de débuter ou plutôt de clore une soirée par l’exécution d’un chant patriotique repris par l’orchestre mais surtout par le public. C’est un peu comme cette tradition – lors du concert dit du nouvel an ou Goldener Saal – née à Vienne le 31 décembre 1939 au cours de laquelle on donne au public l’interprétation finale et par applaudissements (censée être enjouée et aisée) du dernier morceau : la Marche de Radetzky de Johann Strauss.
À Toulouse, ainsi, on doit à Pierre-Louis Deffès (1819-1900) (pour la partition) et à Lucien Mengaud (1805-1877) (employé municipal toulousain pour les paroles) d’avoir créé La Tolosenca ou Toulousaine (dont Claude Nougaro (1929-2004) reconnaissait lui-même qu’il s’en était non inspiré mais servi pour le refrain en occitan de sa célèbre ode à la ville rose : « Ô mon pais ! Ô mon pais ! Ô Tolosa, Tolosa ! »). Cette Toulousaine fut ainsi jouée depuis le 30 avril 1845 (où elle fut créée) au Théâtre du Capitole au moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et – contrairement à ce que l’on pourrait croire – ses paroles étaient loin d’être immuables et uniquement tournées vers la gloie locale. En effet, évolutifs et circonstanciels, les vers de la Toulousaine s’adaptaient aux circonstances politiques nationales pour glorifier, selon les époques, le Roi, l’Empereur ou la République. Ainsi, racontent Auguste Rivière et Alain Jouffray dans l’ouvrage qu’ils ont consacré au Théâtre du Capitole (1542-1977), « les finales de cet air se mirent à varier au fil des ans » et par exemple lors du passage en 1851 du Prince-Président, la Toulousaine (et donc les Toulousains !) y chantaient : « Vive Napoléon » alors que le 20 mai 1891, pour la soirée de gala en l’honneur du Président Sadi Carnot (1837-1894) on y célébra : « Vive la République » !
De la Brabançonne via Portici à la Révolution. Portici se trouve en Italie près de Naples et a donné lieu à un opéra célèbre composé par Daniel François Esprit Auber (1782-1871) sur un livret notamment écrit par Eugène Scribe (1791-1861). L’argument en est historique et raconte comment, au XVIIe siècle, le peuple napolitain (notamment incarné par le pêcheur Masaniello) a lutté pour renverser les Espagnols qui les occupaient. Toutefois cet opéra n’est quasiment plus joué de façon contemporaine même s’il a connu, de 1828 (lors de sa création à l’Opéra de Paris) jusqu’à la Troisième République un incroyable succès. Il faut avouer que l’œuvre est quasiment devenue plus connue désormais pour sa médiation politique que pour ses arias et ses notes (et ce, malgré une ouverture particulièrement réussie). Nous voilà en effet au cours de l’été 1830 et l’opéra d’Auber qui a connu un triomphe à Paris pendant deux années consécutives est proposé depuis le printemps sur la scène bruxelloise. La France vient à peine d’achever sa Révolution de Juillet 1830 et Guillaume Ier (1772-1843) des Pays-Bas a autorisé, à Bruxelles, une nouvelle représentation de La muette de Portici le lendemain de son propre anniversaire mais il sait déjà que les jours précédant des tumultes ont eu lieu dans tout le territoire brabançon.
Le peuple et notamment les bourgeois grognent et début août 1830 il y eut même, à l’Opéra de Bruxelles (au Théâtre de la Monnaie), de premiers soubresauts, portés par des airs de l’œuvre lyrique d’Auber collant parfaitement à l’actualité politique, que la police a contenus. Les spectateurs reprenaient en effet avec joie plusieurs des airs du théâtre chanté lorsque notamment on proclamait l’« amour sacré de la patrie ». Sur scène, en effet, l’histoire du peuple de Naples désirant défier les envahisseurs ibériques en appelant à l’indépendance résonnait avec l’actualité.
Arriva par suite la soirée du 25 août 1830. L’agitation était palpable dans la salle de spectacle et monta précisément lorsque le ténor La Feuillade incarnant Masaniello entonna (avec le chanteur jouant Pietro) le duo dit de « l’amour sacré de la Patrie » (Acte II, scène II) : « Mieux vaut mourir que rester misérable ! Pour un esclave est-il quelque danger ? Tombe le joug qui nous accable et sous nos coups périsse l’étranger ! » ; « Amour sacré de la patrie, Rends nous l’audace et la fierté ; À mon pays je dois la vie ; Il me devra sa liberté ». A l’acte III (scène IV), lorsque La Feuillade revint une hache à la main, le public ne contint plus sa joie et son envie de se rebeller à ses côtés mais cette fois non contre l’envahisseur de fiction mais contre les Pays-Bas de la réalité. S’identifiant aux Napolitains de l’opéra, le peuple brabançon réclame l’indépendance et la liberté contre les Hollandais. Dans les deux cas il chante alors comme le chœur final : « Non, plus d’oppresseurs, plus d’esclaves ; Combattons pour briser nos fers » ; « Courons à la vengeance ! Des armes, des flambeaux ! Et que notre vaillance ; Mette un terme à nos maux ! ». La police ne peut alors maîtriser l’émeute qui sort du Théâtre pour envahir la place royale et ses à-côtés. Pendant plusieurs jours l’émeute va croître parallèlement au sentiment national belge. Il est alors intéressant de relever avec Jane Fulcher (Le Grand Opéra en France : un art politique (1820-1870)) comment La Muette de Portici, sans révolutionner la musique lyrique, a imprégné de sa marque le genre opéra en mettant précisément fin aux œuvres destinées aux monarques mécènes glorifiés pour devenir le support de livrets et de mises en scènes aux accents et aux intérêts bien plus populaires et notamment bourgeois. C’est ainsi bien à l’Opéra et par l’opéra qu’est née la grande Nation belge et qu’a par suite été conduit à régner, le premier Roi des Belges, Léopold Ier (1790-1865).
Quand la scène parlementaire est aussi tragiquement lyrique
Bordeaux & son grand théâtre, accompagnant la République loin du front. A l’automne 1870, Napoleon III est fait prisonnier et l’Empire français vacille. Loin de Paris et du front prussien, les gouvernants dits provisoires et hommes politiques (républicains et monarchistes de Gambetta (1838-1882) à Thiers (1797-1877)), ont décidé (fin 1870, début 1871) de se réfugier à Bordeaux où ils convoquent, à la suite de l’armistice franco-allemand du 26 janvier 1871, la première assemblée parlementaire (monocamérale) de la naissante Troisième République. 768 députés y sont élus (même s’ils ne siègeront pas tous) mais la nouvelle majorité monarchiste ne sait où tenir ses séances dans la capitale girondine. Ce sera finalement le Grand Théâtre bordelais qui sera choisi car il vient juste d’être restauré (1864-1865) par Charles Burguet (1821-1879) : il s’agit, en province, de l’une des plus grandes et belles salles européennes de spectacle lyrique (fonction qu’elle avait quittée avant cette restauration où elle n’était affectée qu’aux bals, réunions et banquets). C’est ainsi sous les quasi neufs (mais dix-huit) écoinçons de William Bouguereau (1825-1905) représentant Rossini (1792-1868), Meyerbeer (1791-1864) ou encore Mozart que se réunissent les parlementaires français à compter du 13 février 1871. C’est ainsi à Bordeaux, à l’Opéra, que l’on vota par exemple les premières Lois dites constitutionnelles dont la Loi dite Rivet du 31 août 1871. Nombre de Républicains s’opposèrent à cette présence parlementaire à Bordeaux qui durera néanmoins jusqu’au 20 mars suivant. Le 10 du même mois, le député Louis Blanc (1811-1882) haranguait ainsi ses collègues avant le transfert vers la région parisienne sans pour autant oser rejoindre Paris : « Pourquoi parler d’Orléans ? Pourquoi parler de Fontainebleau ? Pourquoi parler même de Versailles ? De ce Versailles où hier encore un roi de Prusse, envahisseur de notre pays trônait avec une froide insolence, et dont plus que jamais, les magnificences, pour nous, Français, auront désormais l’aspect funèbre des ruines ! Pourquoi faire suivre une installation provisoire d’une autre installation provisoire ? Pourquoi nous condamner à donner à l’Europe le spectacle d’une Assemblée errante, qui, dans le pays même qu’elle représente, semble en quête d’un refuge et en peine d’un gîte ? Serait-ce que Paris fait peur ? »
Versailles & ses deux salles républicaines d’opéra parlementaire ! Oui Paris faisait peur (car la Commune s’y préparait) mais quel comble ou paradoxe, quand on y repense, que de considérer qu’au printemps 1871 le royal château de Versailles allait accueillir non pas une mais deux assemblées parlementaires républicaines ! Lorsque l’on cherche à faire comprendre aux étudiants que la première assemblée de 1871, bien que formellement dite républicaine, était majoritairement composée d’élus monarchistes (qui exclurent de ce fait (bien qu’élu) le républicain (et italien) Garibaldi (1807-1882)), aucun autre symbole ne saurait être plus efficace : Adolphe Thiers, ancien ministre de Louis-Philippe (1773-1850), chef du pouvoir exécutif de la République française et son futur Président bien que monarchiste patenté, choisit Versailles : ville royale par excellence. Au cœur du château, il fait aménager la salle de l’Opéra pour qu’y tienne séance l’assemblée monocamérale élue à Bordeaux. C’est en ces lieux où l’on inaugura, sous Louis XV (1710-1774), la scène avec Persée de Lully (1632-1687) le 17 mai 1770 que furent notamment votées les trois Lois dites constitutionnelles de 1875. À la suite de l’adoption de ces dernières, la République est consolidée et une seconde chambre, un Sénat, est restaurée mais si formellement la France n’est plus royaliste, fondamentalement de nombreux élus (et les anciennes familles régnantes) y songent encore. Voilà pourquoi, alors que la Commune de Paris est éradiquée depuis des années, les deux chambres vont – encore – siéger hors de Paris. Le nouveau Sénat siègera ainsi dans la même salle de l’Opéra versaillais et la nouvelle chambre des députés se fera construire, dans l’aile dite du Midi du royal Palais, une salle si grande qu’elle pourra également accueillir les réunions où doivent siéger les parlementaires des deux assemblées. C’est dans cette première salle d’opéra que l’on décida in fine si la France serait républicaine ou non ce qui fera écrire à Emile Zola (1840-1902) : « depuis que le drame parlementaire a lieu dans une salle de théâtre, on se croirait réellement, les jours de bataille, à une première d’Emile Augier ou de Sardou » ! C’est dans cette seconde salle, aujourd’hui dénommée salle du Congrès, sous la Cinquième République, que se tiennent encore les séances du Sénat et de l’Assemblée nationale réunies en Congrès et ce, par exemple lors du vote des Lois constitutionnelles ou encore lors de l’audition des messages du Président de la République aux parlementaires.
Vichy sans pastille démocratique. Une autre triste et nationale histoire lie l’opéra au Droit et au pouvoir. Il s’agit de la période (1940-1944) dite de l’Etat français. Nous en rappellerons quelques épisodes. Juin 1940, la France et Paris sont envahis et la direction de l’encore quasi-neuve Réunion des Théâtres Lyriques Nationaux (Rtln) (des salles Garnier & Favart), créée en 1939 et incarnée par Jacques Rouché (1862-1957), hésite. Dans un premier temps, elle se réfugie à Cahors et abandonne les lieux aux envahisseurs. Le 23 juin 1940, seul jour où le Führer (1889-1945) entrera dans Paris, il décide d’ouvrir sa visite éclair de la capitale française par un monument qu’il affectionne et sur lequel il veut poser son empreinte et celle de l’Allemagne nazie : le Palais Garnier. Le symbole est manifeste : l’Allemagne – y compris culturellement – se veut triomphante. Ce n’est pas le bâtiment seul que « visite » Adolf Hitler, c’est la culture française vaincue qu’il veut piétiner. Le 22 juin, la reddition française est actée et dès le lendemain à six heures du matin, le plus haut dignitaire nazi prenait physiquement l’Opéra.
La Loi du 10 juillet 1940, votée à l’Opéra. Le 10 juillet 1940, réfugiés dans la station thermale de Vichy où siégeait le gouvernement, plusieurs parlementaires français (670 des 907 députés et sénateurs élus) vont être invités à donner leur confiance par le vote d’une « Loi » dite « constitutionnelle » au maréchal Philippe Pétain (1856-1951). C’est un raz-de-marée politique en faveur des pleins pouvoirs : si l’on met de côté 20 abstentionnistes et le Président du Sénat, Jules Jeanneney (1864-1957) qui organisait les débats et n’a pas pris part au vote selon l’usage parlementaire, seuls 80 parlementaires se sont opposés à la demande et 569 l’ont approuvée sinon applaudie. Or, il fallait un lieu pour procéder audit scrutin et aucun des hôtels de luxe de la cité ne proposait de salle suffisamment grande et solennelle. C’est donc dans la salle du théâtre lyrique du Grand Casino de Vichy où avait triomphé quelques mois plus tôt José de Trévi (1809-1958) lors d’un cycle Wagner, que l’on procéda, de 14 heures à 19 heures, au funeste suffrage avec le temps tout de même d’envoyer quelques missives et cartes postales afin de marquer, avec la flamme transportée (et continue) de l’Assemblée Nationale, sa participation à l’histoire. C’est ainsi à l’Opéra que l’on enterra formellement la République.
Autre exemple, en Master, en diffusant l’image suivante :
Extraits de programme du 3ème festival lyrique d’Aix-en-Provence (1950) accompagnés d’un billet de spectacle (1961) ainsi que d’une gravure mozartienne. Il s’agit de la mise en avant de la décision : CÉ, Sect., 06 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence
Par plusieurs délibérations contestées par des contribuables locaux puisqu’affectant le budget communal, la commune d’Aix-en-Provence a octroyé près d’1.2 millions d’euros à l’association pour le festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence. Selon les requérants, les actes administratifs auraient enfreint les procédures de délégation de service public (Dsp) en donnant directement à l’association des sommes destinées à l’organisation d’un service public mais ce, sans mettre en concurrence la délégation effectuée. Les juges du fond leur ayant donné satisfaction, la commune s’est pourvue en cassation. En premier lieu (après CE, 27 juillet 1923, Gheusi), l’arrêt confirme explicitement la qualification de l’activité d’organisation du festival litigieux : il s’agit d’un service public culturel et ce, malgré l’absence de prérogatives de puissance publique (comme dans CE, Sect., 22 février 2007, Aprei). Partant, le juge va affirmer que le festival originellement privé était devenu dépendant – au moins financièrement – de la puissance publique. C’est ce que reconnaît le juge qui affirme que plusieurs personnes publiques (Etat et collectivités territoriales) ont décidé de reconnaître le festival comme un service public qu’il était ainsi devenu même si – originellement – il ne l’était pas (Cf. CE, Sect., 24 décembre 1937, De la Bigne de Villeneuve). Cela acquis, le juge a envisagé les différents modes de gestion d’un service public. Outre les cas de dévolutions unilatérales, le Conseil d’Etat présente enpremier la gestion contractuelle avant même les vénérables hypothèses de régie. « En principe » déclare ainsi le juge, les collectivités publiques, gestionnaires stratégiques d’un service public : doivent : « conclure avec un opérateur, quel que soit son statut juridique et alors même qu’elles l’auraient créé ou auraient contribué à sa création ou encore qu’elles en seraient membres, associés ou actionnaires, un contrat de Dsp ou, si la rémunération de leur cocontractant n’est pas substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service, un marché public de service ». S’agissant du festival aixois, le juge identifie un cas souvent qualifié de in housec’est-à-dire lorsque les collectivités créent « un organisme dont l’objet statutaire exclusif est, sous réserve d’une diversification purement accessoire, de gérer ce service » et qu’elles « exercent sur cet organisme un contrôle comparable à celui qu’elles exercent sur leurs propres services leur donnant notamment les moyens de s’assurer du strict respect de son objet statutaire ». Et le juge de conclure à propos de la personne créée : « cet organisme [doit](…) être regardé, alors, comme n’étant pas un opérateur auquel les collectivités publiques ne pourraient faire appel qu’en concluant un contrat de délégation de service public ou un marché public de service ». Le festival est sauvé car l’association est considérée comme la quasi-continuité des personnes publiques qui la contrôlent.
Et l’on a aussi par exemple présenté :
Ouvrages publiés par Gheusi avec autographes (envois). On y a ajouté une revue d’époque évoquant l’homme ainsi qu’un courrier adressé à Pierre Chéreau, alors directeur de la scène du maestro… ce qui met en avant l’arrêt CÉ, 27 juillet 1923, Gheusi.
Un juriste dramatique à l’Opéra-comique : P-B. GHEUSI (1865-1943)
Né à Toulouse (où il accomplira « son droit » de 1886 à 1889), avocat et fier de ses racines occitanes, Pierre-Barthélémy GHEUSI est connu des juristes pour avoir associé son nom au service public lyrique puisqu’il est le malheureux requérant de l’arrêt éponyme CE, 27 juillet 1923, GHEUSI (Rec. p. 369). Flamboyant éclectique tout autant qu’inclassable, il fut soutien de JAURÈS (qui fut son répétiteur à Castres et pour lequel il devint le secrétaire de la première campagne) mais aussi cousin éloigné de GAMBETTA (auquel il consacra une biographie). Il semble avoir eu mille métiers et vies (outre celui originel d’avocat) et on le connut ainsi metteur en scène, romancier, librettiste, historien héraldique, journaliste, administrateur en préfecture puis auprès de colonies, il occupera même (1922-1932) le poste de directeur-administrateur du Figaro comme il avait dirigé peu avant 1900 la Nouvelle Revue.
GHEUSI & la salle FAVART
C’est toutefois l’opéra qui sera le fil conducteur de sa carrière et la salle parisienne de l’Opéra-comique en particulier. Si l’homme passa également quelques mois à l’Opéra de Paris (1906-1907) ainsi qu’au Théâtre du Vaudeville (1919-1920), GHEUSI a surtout été le directeur artistique (1914-1918) puis général (1932-1936) de l’Opéra-Comique où l’histoire retient qu’il a donné – personnellement et comme de nombreux directeurs avant que l’Etat ne transforme certaines maisons en établissements publics – des milliers de francs par amour de l’art lyrique. Ses passages y furent mouvementés à l’image de la personnalité de l’homme : en 1918 il est démissionné du fait de ses inimités avec ses co-directeurs (les frères ISOLA) ainsi qu’avec l’épouse (cantatrice) de son prédécesseur, Albert CARRÉ. En 1936 les grèves des employés, malgré leur augmentation sur la solde personnelle du « patron », ont raison de lui. Il le vécut comme des affronts personnels qu’il raconta dans de nombreux ouvrages parfois romancés mais dont aucun ne fut attaqué en diffamation (Les Pirates de l’opéra (1911), Guerre et Théâtre (1919), L’Opéra-Comique pendant la Guerre (1920), L’Affaire de l’Opéra-comique (1923), L’Opéra-Comique sous la haine (1937) et Cinquante ans de Paris ; mémoires d’un témoin (1942)).
Pendant la Première Guerre mondiale, GHEUSI est reconnu pour son patriotisme et sa générosité. Il dilapide sa fortune pour maintenir ouverte la salle FAVART (alors que GARNIER ferme), garantir (sur ses fonds) le paiement des artistes et des techniciens et divertir troupes et publics. C’est à lui que l’on doit l’idée de faire incarner la Marseillaise à Marthe CHENAL qui en triomphe.
Notons par ailleurs que l’Occitanie est peut-être le second fil conducteur de sa romanesque existence. Non seulement GHEUSI y grandit (et y retourna régulièrement) mais s’entoura fréquemment de camarades occitans. Ainsi, mentionnons Pierre (dit Pedro) GAILHARD, basse qui participa à la création du Falstaff d’OFFENBACH et qui dirigea l’Opéra de Paris (1884-1907). A ses côtés, GHEUSI composa un Guernica (joué en 1895 salle FAVART) et deviendra directeur de la scène au Palais GARNIER (1906-1907). Surtout, c’est avec de nombreux occitans que GHEUSI et GAILHARD se réunissaient au sein de l’association de la Luscrambo qu’on retrouve à plusieurs moments importants de la vie des deux hommes et à laquelle participèrent de très nombreux politiques (dont GALLIENI) et artistes (comme VIDAL, RAVEL et FAURÉ).
GHEUSI & les contentieux
Doté d’un caractère volcanique et d’une plume alerte (ainsi qu’en témoigne sa correspondance et ses Mémoires), GHEUSI a multiplié les conflits interpersonnels et a semble-t-il inscrit son nom comme requérants de presque toutes les juridictions possibles : aux prud’hommes contre d’anciens employés (dont Mme CARRÉ), en diffamation (au civil et au pénal) mais aussi devant la juridiction administrative.
Le célèbre arrêt GHEUSI apporte en effet une qualification que le Conseil d’Etat avait rejetée en 1916 (CE, 07 avril 1916, ASTRUC) à propos d’un projet de « palais philarmonique ». Alors que l’on était alors en pleine guerre, le juge avait affirmé (au regard des conditions d’exploitation du projet) que le théâtre envisagé ne pourrait être considéré comme un service public. Or, en 1923 cette fois, le Palais royal qualifia explicitement le Théâtre National de l’Opéra-Comique (dont GHEUSI contestait sa démission forcée en 1918) de service public. Cela dit, le juge souligna le fait que les directeurs n’étaient pas – malgré leur apparente nomination – des fonctionnaires et qu’il fallait surtout regarder la convention passée entre le théâtre et l’Etat, acte décrivant précisément par son cahier des charges toutes les obligations de service public institué (contrôle de l’Etat, « promesse d’une subvention annuelle » étatique, tarif maximum des places et donc accessibilité au service, etc.). Matériellement, la qualification du contrat en « concession de service public » permit alors au juge d’assumer sa compétence. Cela fait, on n’identifia aucun « manquement » grave de GHEUSI justifiant son renvoi mais il fut souligné une « mésintelligence persistante » entre les trois directeurs (Emile et Vincent ISOLA et GHEUSI) au préjudice du service ; mésintelligence dont le ministre était en droit, eu égard au pouvoir discrétionnaire issu de la concession, de tirer les conséquences sans commettre pour autant de détournement manifeste de ses pouvoirs.
Autre exemple, en droit des services publics avec Astruc :
Photographie de Gabriel Astruc (1864-1938) entourée d’une caricature (par Sem) & d’une exceptionnelle lettre autographe du ténor Enrico Caruso (1873-1921) à « son » impresario.
Un agent pour le droit à l’opéra : Gabriel Astruc (1864-1938)
S’il existe un droit à l’opéra, Gabriel Astruc (né le 14 mars 1864 à Paris) y a nécessairement cru. D’abord chroniqueur parlementaire notamment pour L’Illustration (de 1885 à 1895), l’homme aurait pu finir sa vie comme journaliste juridique spécialisé dans la vie politique française mais l’amour de l’art lyrique va rapidement l’en éloigner.
Astruc & la défense des contrats d’artistes lyriques
Au fur et à mesure de ses rencontres avec des hommes politiques, Astruc remarque en effet que la vie politique se joue aussi (et peut-être aussi surtout le soir) lors des dîners et des spectacles. Il se met alors à fréquenter le tout-Paris politique et artistique. Partant, sa sagacité lui fait rapidement constater trois manques qu’il entend bien combler : d’abord, il relève qu’il n’existe que très peu d’agents d’artistes internationaux en France alors que les scènes lyriques en réclament et en accueillent de plus en plus (il deviendra donc impresario). Ensuite, puisqu’il est journaliste de profession, il décide de fonder sa revue Musica (1902) qui sera, longtemps, « la » revue spécialisée qui compte en France en matière artistique. Enfin, il comprend que le public est davantage friand de concerts et de « têtes d’affiche » qu’il « faut » voir et entendre plus encore que d’œuvres elles-mêmes. Il se déclare donc organisateur d’événements lyriques et crée la Société musicale où, jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale il donnera chaque année sa « Grande saison de Paris » à laquelle le monde lyrique entier (du Metropolitan Opera au Théâtre Mariinsky) participera et qui fit chaque année salle comble.
Impresario personnel, pour la France, de la danseuse (et espionne) Margaretha Geertruida Zelle dite Mata-Hari mais aussi du ténor napolitain Enrico Caruso et de « la » Melba (l’australienne Nellie Melba), Gabriel Astruc les réunit dans une inoubliable « Grande saison » de 1905 dont témoigne l’une des archives reproduites au présent ouvrage (une lettre autographe de Caruso adressée à cette occasion à Astruc).
Astruc & « son » Théâtre (privé) des Champs-Élysées
Cela dit, si Astruc défend l’idée d’un droit à l’opéra, il regarde avec une grande méfiance l’investissement culturel public en la matière. Il croit à l’art lyrique développé par le mécénat privé et entend bien en démontrer la supériorité face aux maisons telles que l’Opéra-Comique et l’Opéra-Garnier. C’est à cette fin, avenue Montaigne, loin du boulevard (estimé populaire) de l’Opéra qu’il fait construire « sa » salle de concert(s) : le Théâtre des Champs-Élysées (Tce) dont la construction s’achève en 1913 et qui est encore, à ce jour, l’une des plus grandes scènes parisiennes (toujours privée qui plus est). A deux reprises (dont une fort connue des juristes) Astruc devra défendre la construction et le maintien de « son » Tce. En 1909, alors que la salle n’est encore qu’en projet, il doit faire face aux calomnies publiques d’un Charles Maurras dont l’antisémitisme triomphe malheureusement et lui font manquer plusieurs contrats.
Connu pour ses frasques et un goût notable de la provocation (ses mémoires s’intitulent Mes scandales), il a été très proche du danseur Vaslav Nijinsky dont la maxime était : « ma folie, c’est l’amour de l’humanité » Cela dit, comment ce dramaturge, directeur de théâtre privé s’est-il retrouvé au cœur d’un célèbre contentieux passé notamment à la postérité par la note que Maurice Hauriou y consacra au Recueil Sirey (1916-III-41) ? Astruc et la société du Tce reprochaient en effet à la ville de Paris de ne pas avoir tenu une « promesse de concession d’un emplacement sis aux Champs-Élysées » à côté du Tce et ce, pour la construction complémentaire d’un « Palais philarmonique ». Qui était compétent pour juger d’une éventuelle indemnité que la ville devrait pour ne pas avoir matérialisé le projet de concession dudit Palais philarmonique ? Le Conseil d’Etat (par son arrêt CE, 07 avril 1916, Astruc ; Rec. p. 163) répondit sans détours à cette question : il ne s’agissait ici que d’une activité industrielle et commerciale de droit commun (ce que soutenait aussi Astruc) dont le support conventionnel ne pouvait donc relever que de la juridiction judiciaire parce qu’il n’était nullement fait ici état d’un service public ou d’un objet d’utilité publique. On notera que le Conseil d’Etat n’examina pas – contrairement à ce que l’on retient souvent – si – de façon générale – le théâtre est un service public mais seulement si la construction d’un palais philarmonique (c’est-à-dire une activité musicale) pourrait l’être en l’espèce. Or, le juge ne dit pas que le théâtre ou la musique ne seront jamais des services publics, il dit seulement que l’activité en cause (un projet d’établissement privé fonctionnant selon les règles du droit commun) n’est pas un service public. Pourtant, à la suite des célèbres mots empreints de moralité administrative d’Hauriou sur cette décision (notamment lorsque l’auteur explique que l’inconvénient du théâtre est « d’exalter l’imagination, d’habituer les esprits à une vie factice et fictive, au grand détriment de la vie sérieuse, et d’exciter les passions de l’amour, lesquelles sont aussi dangereuses que celles du jeu et de l’intempérance »), on résume la portée à ces mots : le théâtre n’est pas un service public alors que le juge dit uniquement que le projet d’établissement d’une salle de concerts, complément du Tce, n’est pas, en l’espèce, un service public.
Dans les faits, il faudra d’ailleurs attendre 2015 pour que le projet d’Astruc d’une Philharmonie de Paris voit le jour et ce, avec également un important contentieux entre l’établissement et – cette fois – l’architecte Jean Nouvel (TC, 05 septembre 2016, Association Philharmonie de Paris).Au fil des différents exemples, en outre, il n’a pas échappé au lecteur que l’enseignant essayait aussi – le plus souvent possible – de mettre en avant des personnalités ou des lieux parlant au public en face de lieu : ici des Toulousains que le Capitole, Gheusi, Astruc ou encore Jaurès célèbrent aussi.