Exemple 6. Niveaux Licence & Master
Intégration aux cours magistraux
de publications « Du Droit chez…. ? »(Éditions l’Épitoge & Ajfp)
(cours magistraux, Université Toulouse Capitole, année 2023)
1. De quoi s’agit-il ?
À plusieurs reprises de nos travaux, dans le cadre et la perspective des mouvements précités Droit & Littérature mais aussi Law as Culture, nous avons été conduit à travailler sur une ou des représentations juridiques au sein d’œuvres de fiction. C’est ce que l’on a ici indiqué sous le titre « Du Droit chez… ».
Concrètement, à partir de quatre extraits ici sélectionnés (trois écrits déjà publiés et l’un en cours de publication), on a également voulu montrer la diversité des supports culturels et fictionnels utilisés en cours ou dans nos recherches :
- qu’il s’agisse d’éléments très contemporains et aisément accessibles à la culture « pop » des étudiants comme lors de nos écrits sur Ayan Nakamura ou encore sur Orelsan ;
- ou bien encore de « classiques » de la Littérature comme avec Messieurs les ronds-de-cuir de Courteline ou, déjà ancien, à travers la saga épique de Tolkien.
Dans toues ces hypothèses, le parti pris est le même :
le support fictionnel n’est qu’un prétexte à l’ouverture culturelle et surtout à l’examen ainsi rendu plus ludique et accessible de questions juridiques.
2. Quel public était visé et/ou y a participé ?
On a choisi ici des extraits de publications intégrés à des cours de tous niveaux :
- en droit constitutionnel (Licence I) : intégration d’un extrait (celui rédigé par nos soins) de : Touzeil-Divina Mathieu & Gelblat Antonin, Du Droit chez Orelsan ? ; Toulouse, L’Epitoge ; 2022 ;
- en droit administratif (Licence II) : mention d’un extrait rédigé uniquement sous notre plume de : Touzeil-Divina Mathieu & Costa Raphaël, Du Droit chez Aya Nakamura ? ; Toulouse, L’Epitoge ; 2020 ;
- en droit des fonctions publiques (Master I) : utilisation d’un extrait d’un article (paru à l’Ajfp à l’été 2023) et portant sur la confrontation du monde de Tolkien aux droits des fonctions publiques ;
- en droit des fonctions publiques (Master I) : enfin, la pratique d’une étude à paraître (Ajfp ; décembre 2024) et traitant de la représentation des agents publics dans une série d’ouvrages dont Messieurs les ronds de cuir de Courteline ;
3. En quoi est-ce (aussi) du Pop’Droit ?
On retrouve ici les mêmes arguments que lors de l’exemple précédent :
- on a injecté dans le programme une part de « culture » associée à la transmission du Droit ;
- Le but évident de l’usage prétexte d’un objet ou d’une image sera clairement de favoriser une interaction avec un ensemble d’étudiants qui, habituellement, en cours magistral a plus tendance à seulement écouter passivement. Poser des questions directes sur ce qu’est l’objet selon eux, force cette interaction et cette participation désirées.
- Ceci ne néglige pas l’aspect ludique de l’apprentissage juridique ce qui se concrétise ici par exemple en rappelant des éléments personnels (mémoire kinesthésique) des personnalités impliquées.
- Enfin, cela tente aussi de « connecter à l’actualité » ou à la réalité contemporaine d’une branche juridique des éléments culturels dans lesquels elle agit.
4. Extraits témoignages
Premier exemple utilisé en droit constitutionnel et issu de l’ouvrage précité : Touzeil-Divina Mathieu & Gelblat Antonin, Du Droit chez Orelsan ? ; Toulouse, L’Epitoge ; 2022.
Orelsan, ni juriste, ni sociologue. Ainsi qu’on l’a déjà affirmé expressément, il ne s’agit pas ici de prétendre qu’Orelsan serait un juriste, un professeur de Droit ou un universitaire sociologue ou encore un politologue. En effet, même si d’aucuns (dont le Président Macron[1]) qualifient le rappeur de « sociologue des temps modernes » ou lui prêtent une portée et surtout une volonté politique, l’artiste s’en dément expressément. Même si le Président Macron assure[2] lors de la sortie de l’album Civilisation et notamment du titre « l’odeur de l’essence » : « c’est bien vu. C’est quand même quelqu’un qui dépeint la société comme un sociologue », Orelsan refuse le compliment. Aussi, si dès 2011[3], il chantait : « j’suis pas là pour faire de la philo[4] », dix ans plus tard, il affirmait ne surtout pas avoir écrit de « programme politique » tout en taclant au passage le Président de la République auquel il fit répondre[5] qu’il se demandait si ce dernier ne chercherait pas, « par hasard » à « gratter un peu » du « buzz » de l’artiste !
Quoi qu’il en soit, singulièrement avant 2021, Orelsan s’est présenté à ses fans comme étant un artiste dénonçant davantage qu’il ne proposerait. Récemment, encore[6], l’artiste se décrivait comme « un narrateur » qui « partage ses sentiments » sans qu’il n’y existe pour autant de cohérence revendiquée entre eux.
La posture initiale est alors celle de l’artiste qui – tout en se prétendant non concerné[7] par la société et la politique – en dénonce (ce qui prouve paradoxalement bien son intérêt) les travers.
Dénonciation d’un « système » politique peu démocratique & non-représentatif. Lorsqu’Orelsan commence à diffuser ses textes, il s’inscrit dans une dénonciation finalement très classique des dérives d’une démocratie à bout de souffle qui ne laisse pas assez de force ou de place au peuple ou aux citoyens (alors qu’elle prétend l’inverse) et, pire, qui entraîne une mal-représentation de ces derniers.
Les parlementaires, en particulier, sont les destinataires habituels de la critique d’un système qui ne serait réservé qu’aux seniors blancs mettant au rebus toute la jeunesse citoyenne. Or[8], « les vieux comprennent pas ce qu’il se passe dans la tête des jeunes ; Ils sont pas élevés par la télé, par la PlayStation ». En 2021[9], l’idée est reprise dans L’odeur de l’essence qui critique – notamment (on y reviendra) – la sénescence des représentants de la Chambre haute : « pas b’soin d’savoir c’est quoi l’Sénat. Pour voir qu’les vieux riches font les lois, uh ».
Cette idée de dénoncer les « maux » les plus évidents d’une démocratie malade n’est pas originale[10]. On la retrouve depuis plus d’un siècle par exemple à travers les mouvements dits antisystème qui sont, originellement surtout, des mouvements antiparlementaires. Dénonçant l’absence d’adéquation entre la société et ceux censés la représenter, critiquant l’existence (effectivement critiquable et malsaine) de quelques individus qui « se » servent ou agissent pour des intérêts collectifs (les « bouffe-galettes ») au lieu d’avoir une vocation pour l’intérêt général, les antisystèmes s’opposent à la démocratie représentative telle qu’elle est mise en place et telle qu’elle emporterait des exclusions du peuple de la décision quotidienne ne jouant que pour la classe sociale qu’elle formerait. Le « système » serait alors prêt à craquer comme le matérialise spécialement la chanson[11] « suicide social ».
Du « tous pourris » à l’antiparlementarisme primaire ? Certains des propos du rappeur sont alors relativement cinglants et réducteurs (mais c’est la logique même d’un genre qui se veut subversif ou provoquant). Ainsi, lorsqu’il écrit[12] « une Thaïlan-daise en France, ça devient une député » proposant une peu subtile comparaison entre représentants de la Nation et prostitution, la nuance n’a aucune place. Tous les représentants seraient alors des corrompus n’agissant que pour leurs intérêts ou ceux du grand capitalisme (mais certainement pas ou plus pour le peuple). Il n’y aurait alors rien d’étonnant à ce que des contestations populaires pleuvent sur la France pour dénoncer cet état de fait qui ne serait en rien une nouveauté portée par le mouvement dit des Gilets jaunes. Pire, la France et ses représentants sont taxés de ne pas voir et/ou écouter[13] :
« l’État français continue d’vous la mettre et tu t’en sors peut-être, c’est qu’des miettes » (…). « Depuis la bonne idée d’l’État d’s’enrichir sur les immigrés. Leur refourguer les quartiers où la classe moyenne se suicidait » (…). « La banlieue porte un gilet jaune depuis vingt ans, tout l’monde s’en bat les couilles. La France est dans l’déni, mélange d’ignorance et d’mépris » (…) « J’suis pas naïf, j’suis trahi, je crois plus c’qu’on m’a appris, l’égalité, la patrie, ah oui ? ». « Rentre dans le système ou péris, oublie tes rêves dans un hall de mairie. Tant qu’ils parleront d’élite, ils disent que tu peux t’en sortir si tu l’mérites » (…). « L’État veut t’endormir et jouer les marchands de sommeil. Un seul modèle de réussite : le leur, basé sur l’oseille. S’ils aident les jeunes, c’est à devenir des vieux comme eux. Tu peux toucher l’jackpot, tu battras pas l’casino à son propre jeu. Système en pyramide, l’argent monte, la merde reste en bas. J’dis pas qu’tout l’monde est dans le complot, j’dis qu’ça les dérange pas ».
Finalement, les gouvernants (au sens duguiste du terme) sont décrits comme des incapables qui ne servent que leur propre élite et multiplient les écrans de fumée(s) dès qu’un problème se matérialise[14] :
« au moindre problème, ils font Go Go Gadget aux lois » (…). « Pour pas parler des vrais problèmes : Go Go Gadget au hijab ».
Peu ou prou, c’est aussi la critique que portait le professeur Carcassonne[15] lorsqu’il dénonçait ces Lois inutiles ou inappropriées provoquées à chaque incident. En matière de Laïcité, de même, on ne peut, comme le chanteur, que regretter la facilité avec laquelle les politiques, de manière générale, ont tendance à agiter les foulards et questions islamiques à tout instant.
Un droit de vote aux ordures de la République ? Finalement, c’est un peu comme si Orelsan nous expliquait que même le droit de vote, expression pourtant première d’une démocratie repré-sentative, serait perverti et à jeter tellement ses conséquences seraient neutralisées. Voici ce que seraient devenues les élections[16] :
« ils suivent les élections comme ils suivent le Bigdil. Trouvent une conscience politique sous pinard le Dimanche midi. Les candidats j’les entends causer pour ne rien dire » (…). Et Greg Frite de répondre : « Gauche ou droite, t’inquiète on connaît. Tu votes pour qui ? Les bonnets blancs ou les blancs bonnets ? Parce qu’on vote toujours pour des gens et des fausses promesses. L’action c’est ici et maintenant et pas au sommet ».
Les élections ne seraient donc devenues que des théâtres inutiles où tout serait joué d’avance sans qu’aucun suffrage ne puisse véritablement changer le cours de la société et la vie des citoyens[17] : « J’vais pas voter comme en Corée (wow) » conclut ainsi le rappeur : « Toujours plus, plus, plus, plus, plus, plus, plus ».
La tentation des extrémismes. Alors, comme tous les commentateurs de la société, Orelsan décrit cette tentation des citoyens pour les candidats et les mouvements extrêmes qui tentent de sortir d’un moule ou système démo-libéral qu’ils critiquent de toutes parts alors qu’ils en sont, en règle générale, eux-mêmes les produits et les incarnations. S’y ajoute un climat de terreur et de violence sociales qui pousse d’autant plus les électeurs à se questionner[18] : « on sème la terreur dans le crâne des électeurs. Ça me choquerait pas que Wes Craven fasse le journal de 13 heures ».
Le récent texte L’odeur de l’essence[19] résume parfaitement ces constats :
« les jeux sont faits, tous nos leaders ont échoué. Ils s’ront détruits par la bête qu’ils ont créée. La confiance est morte en même temps qu’le respect. Qu’est c’qui nous gouverne ? La peur et l’anxiété. On s’auto-détruit, on cherche un ennemi. Certains disent « c’est foutu », d’autres sont dans l’déni » (…). Même les programmes politiques sont visés : « Que des opinions tranchées, rien n’est jamais précis (…) Connard facho, connasse hystérique (Regarde). Tout est réac’, tout est systémique (Regarde) ». Même les électeurs sont pointés du doigt : « Tous les vieux votent, ils vont choisir notre av’nir. Mamie vote Marine, elle a trois ans à vivre. Youtubeurs fascistes, pseudo subversifs. Voilà c’qu’on a quand on censure les artistes (sic). Rien n’avance jamais, nombreux s’radicalisent. En manque de r’pères et j’perds dans la nostalgie d’une époque. Où d’autres étaient déjà nostalgiques d’une époque ». (…). Et de conclure : « Putain, les moutons veulent juste un leader charismatique. Aucune empathie, tout est hiérarchique. L’école t’apprend seulement l’individualisme. On t’apprend comment faire d’l’argent, pas des amis ». À cette dérive néo-libérale où Orelsan regrette la montée des violences et la recherche par d’aucuns d’un pouvoir fort et sécuritaire, le rappeur ajoute une critique de l’actuel système électoral majoritaire ne prenant pas encore en compte comme conséquent l’abstentionnisme et les votes nuls et blancs : « si l’Président remporte la moitié des voix. C’est qu’les deux tiers de la France en voulaient pas ». Voilà l’élection résumée au principe majoritaire et à la dénonciation de la seule prise en compte des suffrages exprimés. Il faut dire qu’en la matière les chiffres ont de quoi effrayer. En 2017[20], ainsi, le Président Macron fut effectivement élu au 2nd tour par 20 743 128 voix exprimées en sa faveur soit seulement 43% des 47 582 183 inscrits et près de 31% seulement d’une population de 66 990 826 habitants au 1er janvier 2017.
La tentation dictatoriale autant critiquée. Pour autant, le rappeur n’engage pas ses auditeurs à faire la Révolution et à contester, par la violence au besoin, toutes les institutions en place. Il les dénonce et ne prône pas pour autant l’appel à un pouvoir fort qui remettrait de l’ordre.
Orelsan sait effectivement bien qu’une dictature apporterait autant – sinon clairement plus – de désordres et surtout de comportements liberticides. Il menace ainsi sur le ton de l’humour[21] : « quand je vois les commentaires sur le net, je rêve de dictature. Vous serez tous foutus dès que j’aurai mes cinq cents signatures ».
En fait, même si l’auteur semble nous dire qu’il pourrait comprendre cette tentation dictatoriale pour remettre de l’ordre dans un système corrompu, il sait que le remède serait pire encore et ce, même si c’est lui qui devenait le dictateur tout-puissant à l’instar d’un gourou de secte comme Raelsan [22]: « faut qu’on s’offre une nouvelle vie, faut qu’on s’ouvre l’esprit. Faut que les pantins coupent les fils. Prend la route et fuis, j’ai une soucoupe en double file. Je te ramène avec oim, Raelsan ».
C’est au peuple des « moutons » de se prendre en charge. Il apparaît par suite au rappeur que la figure du super-héros n’existe pas et que c’est conséquemment au peuple de changer la donne[23] :
« tu veux l’avoir avant moi, la grande gloire, la joie, les filles en chaleur. J’tisserai ma toile, quitte à c’que j’arrache les avant-bras d’Peter Parker. Tu voulais sauver des vies ? Fallait t’inscrire en médecine. Tu joues les supers justiciers, t’es qu’un homme en legging. Les chevaliers, les rangers, les gentlemen au grand cœur, les vengeurs. J’leur coupe les ailes avant qu’ils prennent de l’ampleur. Tu veux faire des sacrifices, tu veux devenir un symbole ? J’veux qu’ta mort serve à rien, j’veux qu’t’exploses en plein vol. Nombreux sur le créneau, j’attendrai pas leurs mégots. J’laisserai personne prendre ma place : je serai le héros. Tu peux lever les bras vers le ciel. Courage : fuyons ! ».
L’artiste de conclure avec dépit :
« personne viendra pour te sauver. Courage : fuyons ! Appelle les renforts, appelle à l’aide. Courage : fuyons ! Tout c’qu’on veut, nous, c’est se sauver. Courage : fuyons » !
Autrement dit, c’est avec pessimisme, que se clôt la première partie et première période (avant 2021) de la doctrine orelsanienne en matière politique et constitutionnelle.
L’auteur critique, comme tant d’autres en Droit, en sciences politiques (etc.) et dans les médias, les dérives d’une République qui ne serait pas assez démocratique, bien trop violente et tentée par les extrêmes. Il en conclut cependant, et l’on ne peut que le rejoindre, que tout ne provient pas des représentants corrompus mais avant tout de celles et de ceux qui les ont conduits à ces responsabilités mal gérées. Aussi, si le propos est parfois réducteur et aux limites d’un antiparlementarisme primaire, il aboutit à une dénonciation plus courageuse : celle de l’absence générale de réflexion(s) des citoyens qui savent se plaindre et manifester mais pas forcément s’engager et proposer voire se proposer pour représenter le peuple.
Ce « peuple-mouton » qui a oublié les écrits de Jean-Jacques Rousseau[24] pour se laisser conduire et que l’on pense à sa place est la cible du texte Avf[25] (pour « Allez Vous faire Foutre ») chanté aux côtés de Stromae et de Maître Gims :
« toujours les mêmes discours, toujours les mêmes airs. Hollande, Belgique, France austères. Gauche ou libéraux, avant-centres ou centristes. Ça m’est égal, tous aussi démago’ que des artistes. Je ne dis pas ce que je pense, mais je pense ce que je dis. Quand je vois ce que je vois, et ce que valent nos vies. Pas si surprenant, qu’on soit malpolis. Donc vas-y follow ma folie, m’a follow, follow me now » !
Pour conclure : « Des moutons, des moutons, des moutons » etc.
« Montez sur scène, allez tous vous faire huer ! Marchez dans les rues, allez tous vous faire juger ! Passez sur le billard, allez tous vous faire tuner ! Signez sur des contrats, allez tous vous faire plumer ! J’allume la télé pour cracher sur des connards que je déteste. J’ai 300 chaînes, pense à la quantité d’insultes que je déverse. On dit que je fais preuve de gentillesse. Je fais vraiment preuve de faiblesse ».
In fine, les chanteurs engagent alors les citoyens à au moins réfléchir à leur condition sous peine de mériter leur situation :
« allez-vous fermer les yeux. Longtemps, et puis restez hors-jeu ? Un peu démago’ ou envieux. C’est vrai qu’on est un petit peu des deux ». Pour conclure (au cas où la mauvaise solution serait suivie) : « Allez vous faire ! Allez vous faire » !
Sans anarchisme, du vote par dépit. En conclusion de cette première sous-partie, nous avons décrit un chanteur critiquant l’état actuel de la société sans pour autant négliger la part de responsabilité citoyenne. Par ailleurs, si certains le décrivent comme anarchiste[26], on conteste rapidement le qualificatif car Aurélien Cotentin n’en rejoint presque aucun code. S’il critique effectivement l’absence démocratique du système contemporain, il y participe, il le cautionne directement ou indirectement et accepte, en premier lieu, l’acte même de voter et de désigner des représentants. Ainsi, affirme-t-il dans Élections[27] dès 2012 : « les candidats j’les entends causer pour ne rien dire. J’me raccroche aux branches, j’irai voter pour le moins pire ». En 2018[28], il confirme : « parler pour ne rien dire, voter pour le moins pire. Voilà tout ce que j’voulais jamais faire ».
Et pourtant… Nous ne croyons pas, à la différence de nombreux médias, qu’Orelsan serait un « éternel adolescent[29] » assimilable à la caricature d’un rappeur incompris dénonçant sans cesse les mêmes thèmes ou sentiments. À l’inverse, nous affirmons une évolution sensible, un changement.
Autre exemple :
Autre exemple utilisé en droit administratif notamment et issu de l’ouvrage précité : Touzeil-Divina Mathieu & Costa Raphaël, Du Droit chez Aya Nakamura ? ; Toulouse, L’Epitoge ; 2020.
Plus besoin de présenter Aya Nakamura depuis qu’aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, elle a été la « reine », devant l’Institut de France, de la cérémonie d’ouverture.
On s’est intéressé ici notamment à son rapport fictionnel à une « institution » du droit administratif : « le » Gaja ce qui est prétexte à sa présentation.
Plusieurs écrits ont déjà été publiés à propos de cet ouvrage – effectivement fondamental sinon cardinal – qu’est le recueil des Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative dit Gaja[30]. Il en a même été organisé le 29 novembre 2006 pour le cinquantenaire de la publication (1956-2006) un colloque[31] académique évoquant les différentes éditions et évolutions de l’opus. Il est vrai que le droit administratif a été (et est peut-être encore) marqué par l’une de ses sources premières qu’est la jurisprudence – essentiellement – du Conseil d’Etat. Il ne s’agira évidemment pas de nier cet apport prétorien et normatif. Les « grands arrêts » du droit administratif ont façonné (et façonnent peut-être encore) ce dernier. Il existe d’ailleurs plusieurs autres ouvrages[32] qui ont embrassé (et embrassent encore) ce désir de présenter les décisions juridictionnelles et leurs apports les plus essentiels pour la matière mais – reconnaissons-le – le Gaja s’impose comme un « must have » ou un « best of » entre tous (ce que traduisent même certaines vidéos potaches qui témoignent de ce succès et de cette présence quasi indispensable[33]).
A l’instar du « Pierre[34] » en droit parlementaire, le Gaja est la « Bible » du droit administratif français et personne n’oserait le remettre en question. Personne ?
« Y’a pas moyen Gaja » ? Et si derrière la chanson qui a fait sa renommée Djadja (2018) on lisait une critique – non du Gaja et de son contenu – mais de son utilisation ? C’est ce que nous croyons percevoir.
« Hello Papi mais qué pasa ?
J’entends des bails atroces sur moi
A c’qui paraît, j’te cours après ?
Mais ça va pas, mais t’es taré ouais
Mais comment ça le monde est tipeu ?
Tu croyais quoi, qu’on se verrait plus jamais ?
J’pourrais t’afficher mais c’est pas mon délire
D’après les rumeurs, tu m’as eu dans ton lit
Oh [Gaja] Y’a pas moyen [Gaja]
J’suis pas ta catin [Gaja],
genre en Catchana baby tu dead ça
Oh [Gaja] Y’a pas moyen [Gaja]
J’suis pas ta catin [Gaja],
genre en Catchana baby tu dead ça »
De quoi s’agit-il ?
Nous croyons qu’Aya Nakamura dénonce ici la pratique sinon la surconsommation actuelle du Gaja en Facultés de Droit en déformant exprès le mot Gaja devenu Djadja et ce, on l’imagine, pour ne pas avoir de procès avec les éditions Dalloz et les co-auteurs et ayants-droits de l’ouvrage (MM. Long, Weil, Braibant, Delvolvé & Genevois). Mais que dénoncer alors ? C’est en 1956[35] qu’a été publiée la 1ère édition du Recueil et – en 2019 – nous connaissons déjà sa 22e moisson. Chacune comprend une sélection – nécessairement subjective – de décisions et comprend – surtout – des commentaires de celles-ci.
Que reproche alors Aya Nakamura dans sa critique ici chantée ?
« J’suis pas ta catin Gaja » !
Effectivement, constaterait selon nous l’auteure, la plupart des administrativistes (et notamment des étudiants et aspirants aux différents concours des fonctions publiques) sont devenus des « quasi-esclaves » du Gaja.
On pense Gaja, on se réfère Gaja, on se laisse guider par le Gaja et l’on en viendrait presque à oublier, à nos yeux, l’essentiel.
En effet, si le Gaja est un outil évidemment primordial du droit public, il ne faut pas oublier qu’il n’est qu’un outil supplétif et non la source même du droit. Or, plusieurs étudiants notamment considèrent que le Gaja est devenu « la » source matérielle première du droit administratif alors qu’il ne s’agit « que » d’un choix subjectif et doctrinal même « autorisé » (et adoubé par la doctrine dite « organique » pour reprendre la belle expression du professeur Bienvenu).
Le Gaja n’est pas le droit administratif. Il n’en est qu’une facette, une expression, une proposition doctrinale faite de choix subjectifs et personnels assumés. Or, le droit administratif, c’est d’abord et avant tout un ensemble normatif issu des Lois, codifications et autres normes réglementaires ainsi que de leurs pratiques et doctrines administratives. Le contentieux et ses résultantes décisionnelles n’en sont que des excroissances et des témoignages de conflits.
Et, même si le contentieux administratif a irrigué le droit administratif proprement dit, il ne faut pas omettre qu’il ne s’agit que d’une pratique et de résultantes juridictionnelles.
Par ailleurs, certains utilisateurs du Gaja oublient que les commentaires du Recueil sont précédés d’extraits de décisions et ne font que lire et retenir lesdites explications. Or, la portée normative se trouve non dans la doctrine (par essence subjective) des commentateurs mais dans les arrêts et décisions qu’il importe de savoir lire et interpréter soi-même. Malheureusement, en ne publiant pas pour chaque espèce in extenso ces dernières (pour raisons éditoriales compréhensibles) et parce que les lecteurs sont pressés et vont directement aux commentaires, le Gaja habituerait les juristes à ne plus lire les arrêts et à ne pas les comprendre par soi-même. Il entraînerait les administrativistes à la paresse puisque ces derniers accepteraient de se laisser guider et ne feraient plus l’effort de rechercher et de comprendre eux-mêmes et surtout d’aller lire en entier les décisions par d’autres sélectionnées.
On ne peut alors que souscrire à la dénonciation courageuse de la chanteuse :
« Oh [Gaja] ! Y’a pas moyen [Gaja] !
J’suis pas ta catin »Gaja !
Suivent deux extraits, pour le cours de droit des fonctions publiques, parus ou à paraître à l’Ajfp :
Fonctions & fictions publiques :
le contrat de fonction publique :
Seigneur des Anneaux
ou « saigneur des Statuts » ?
D’un Troisième âge, l’autre. L’histoire des fonctions publiques que nous allons vous raconter au prisme de l’œuvre de John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973), le Seigneur des Anneaux, se déroule au « troisième âge » de la fonction publique française comme le Seigneur des Anneaux achève le « troisième âge du Soleil » à la suite d’autres aventures et d’autres « âges » dans la longue chronologie des « Terres du Milieu ». Dans l’histoire d’heroic fantasy, il y eut ainsi, incluant les années des Lampes et des Arbres, un premier âge allant du « lever » du Soleil à la chute de Morgoth Bauglir. Ensuite, vint un « deuxième âge » marqué par la forge des dix-neuf anneaux[36] de pouvoir et du « maître anneau » de Sauron. Enfin, arriva le « troisième âge » qui va décrire le voyage dudit « maître anneau » des doigts de la créature Gollum à ceux de l’oncle de Frodo Baggins, Bilbo Baggins, puis à l’épisode qualifié de « Seigneur des Anneaux » et racontant la destruction du « maître anneau » ainsi que le départ de tous les anciens porteurs de ce dernier[37]. Un « quatrième âge » marqué par la domination humaine s’en suit.
En droit français des fonctions publiques, si l’on en accepte le parallèle prétexte et pédagogique proposé, il y aurait également quatre âges : celui, originel et « premier âge », de l’Antiquité où l’on commençait à pointer l’existence de « fonctions publiques » mais sans aucun régime juridique systémique puis celui, « deuxième âge » de notre « Ancien Régime » en France et ce, jusqu’à la Révolution française où l’on commençait à distinguer mieux les fonctions publiques et leurs liens juridiques naissant opposant alors, notamment, commissaires, officiers et ingénieurs du Roi[38]. Le « Troisième âge » serait par suite le temps contemporain de la Révolution française à nos jours ; le « quatrième âge » ayant lieu après nous.
D’un maréchal, l’autre. Dans ce « Troisième âge », pour filer la comparaison avec le Seigneur des Anneaux, ici rebaptisé en Saigneur des Statuts, on peut également, comme chez Tolkien, distinguer plusieurs périodes importantes. On en retiendra ici au moins quatre à l’instar des quatre âges précités :
- 1834 : avec le vote de la Loi sur l’état des officiers du 19 mai 1834 (dite Soult du nom du maréchal Jean-de-Dieu Soult (1769-1851).
- 1941 : avec la Loi, voulue par un autre maréchal, Philippe Pétain (1856-1951), créant le premier « Statut » général des fonctions publiques le 14 septembre 1941.
- 1946 : avec le premier Statut républicain du 19 octobre 1946 porté par le ministre Maurice Thorez (1900-1964)) refondé entre 1981 et 1986[39] avec la distinction des trois fonctions publiques étatique, territoriale et hospitalière.
- 2019 : avec la Loi (dite Olivier Dussopt) n°2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique préfigurant, par une ordonnance du 24 novembre 2021, la codification de l’ensemble des dispositions actuellement en vigueur sous un Code général de la Fonction Publique (Cgfp).
Du maître-Anneau au (maître) Statut. Le (et non la) Statut[40]– en droit des fonctions publiques – fait référence à cette norme générale qui contient l’ensemble (ou presque) ordonné des dispositions relatives à une catégorie de personnes (en l’occurrence les fonctionnaires au sens large) ou à une institution (comme le statut des collectivités territoriales). Le Statut en décrivant un objet et un régime juridiques peut alors apparaître à l’instar d’une codification. En droit positif français, il est désormais formellement et précisément inséré au Cgfp précité.
Le Statut (avec une majuscule quand il est unique et unifiant) à l’instar du « maître-Anneau[41] » est celui qui embrasse, à quelques rares exceptions, toutes les hypothèses, tous les régimes juridiques, d’un pan entier : la fonction publique au sens large, c’est-à-dire l’emploi ou le droit des travailleurs et des agents publics, ce qui va, en 2023, bien au-delà de la seule situation des fonctionnaires[42] à strictement parler. En effet, si le Statut, historiquement, n’a eu pour objet que la gestion des agents dits statutaires fonctionnaires et non celle des agents publics au sens large, contractuels compris, désormais le Code offre une vision extensive.
Ainsi, si l’art. 1er Cgfp affirme que « le présent code définit les règles générales applicables aux fonctionnaires civils. Il constitue le statut général des fonctionnaires. Ceux-ci sont, vis-à-vis de l’administration, dans une situation statutaire et réglementaire », un art. 2 ajoute aussitôt que : « pour autant qu’il en dispose ainsi, le présent code s’applique également aux agents contractuels des administrations de l’Etat, des autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes, des établissements publics de l’Etat, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics » ainsi que de certains agents hospitaliers notamment. L’histoire du Statut peut être ainsi simplifiée :
- en 1946, un Statut va unifier tous les régimes spéciaux de fonctions publiques mais s’il s’agit du premier Statut républicain, il ne faut pas oublier que le premier véritable Statut unifiant des fonctionnaires date de la Loi préc. de 1941 sous le régime dit de Vichy.
- Avant la Seconde Guerre mondiale, la France connaissait des agents publics, notamment fonctionnaires, mais ne possédait aucune règle générale pour les gérer et les référencer de conserve. C’est au contraire la diversité sinon le chaos normatif qui régnait malgré l’existence de premiers parallèles et de jalons normatifs importants à l’instar de la Loi dite Soult de 1834.
Pour établir un premier parallèle avec le récit de Tolkien, on pourrait alors écrire que « le » Statut de 1946 (comme celui de 1941) a eu pour objectif premier de réunir tous les autres petits statuts spéciaux et préexistant en chaque ministère et/ou administration.
En somme, « le » Maître Statut à l’instar du Maître-Anneau répond à la célèbre citation du Lord of the Rings[43] : « un [Statut] pour les gouverner tous. Un [Statut] pour les trouver. Un [Statut] pour les amener tous et dans les ténèbres les lier ».
Rappelons ainsi que si le Maître-Anneau forgé par Sauron pouvait gouverner les 19 autres anneaux forgés pour les elfes, les nains et les hommes, il y avait à peu près une vingtaine de pré-statuts spéciaux sous la Troisième République avec, chacun, des règles propres et parfois disparates. Les uns étaient protégés, d’autres non ; d’aucuns bénéficiaient de pensions de retraite importants, quand d’autres y échappaient ; etc. Parmi ces multiples normes spéciales aux agents publics (19 pour le parallèle fictif mais dans les faits bien davantage), citons, par exemple, et pour chaque profession ou presque, le « statut portant règlement général (…) des Facultés » du 9 avril 1825[44] et dont les art. 44 et s. précisait la situation des professeurs universitaires ce que de très nombreux textes modifieront pour les agents au sens large de l’Université. Il en est de même, encore plus spécialement, pour les seuls agents civils des hôpitaux et hospices de la Ville de Paris[45] dont les règles n’ont cessé d’évoluer.
Des maux incarnés : Sauron & Gollum. Dans cette comparaison entre Anneau fictif et Statut réel, deux personnages incarnent chez Tolkien le mal : Sauron évidemment, qui cherche à tout contrôler sinon détruire via lesdits anneaux et Gollum, de façon plus indirecte, possédé par Sauron et guidé par le Maître-Anneau qu’il veut à tout prix retrouver et garder avec lui. Dans notre parallèle, Sauron sera le « contrat » de fonction publique, destructeur des et « du » Statut(s) et Gollum, sa marionnette, le Contrat à Durée Indéterminée (Cdi) de droit public. Partant, nous affirmons le jugement de valeur qui nous pousse à proposer de comparer ce qui est un pur choix politique à conséquences juridiques : la destruction contemporaine du Statut par une contractualisation massive des fonctions publiques qu’incarne, en particulier, le Cdi.
Du pouvoir / de l’Anneau corrupteur. Par ailleurs, nous devons aussi concéder avoir longuement hésité entre traiter[46] des présentes fonctions publiques (ce qui nous a semblé plus original) ou de la thématique du pouvoir associée audit Maître-Anneau et ce, singulièrement en droit constitutionnel. En effet, comme nous avions commencé à le décrire à la Revue Méditerranéenne de Droit Public[47], on croit pouvoir dire que le pouvoir observé en droit constitutionnel est un peu comme le « Maître-Anneau » de Tolkien : il corrompt tous ses utilisateurs (même le peuple en droit constitutionnel comme pendant la Terreur de 1793 ou l’héroïque Frodo dans le Seigneur des Anneaux), raison pour laquelle il faudrait lui construire des contre-pouvoirs d’équilibre(s) ce qui semble bien être l’objectif même d’un régime parlementaire fortement influencé des préceptes constitutionnalistes et libéraux d’un Locke ou d’un Montesquieu[48]. Telle est bien là la logique des poids et contrepoids (checks and balances)entraînée par ces derniers : il faut toujours, même (et surtout) si cela est désagréable au(x) pouvoir(s) qu’existent des contre-pouvoirs destinés in fine à assurer la liberté (politique) de chacun(e)[49]. C’est triste, mais c’est humain, l’Homme est conduit, même s’il part avec les meilleures intentions du monde, à être tenté par son ou ses pouvoirs. Il convient donc, le sachant, de prévoir comment s’en défendre.
Des trois livres du Seigneur des Anneaux & du saigneur des Statuts. Le Seigneur des Anneaux n’est pas une trilogie mais seulement la « découpe » éditoriale d’une même histoire. Pour conter ici celle de Sauron, le contrat de fonction publique, « saigneur du Statut » on a décidé de reprendre néanmoins les trois étapes proposées par Tolkien et suivies, dans ses films, par Peter Jackson. Il s’agira donc d’analyser la Communauté de l’Anneau / du Statut (I) pour ensuite envisager deux « tours » ou régimes juridiques présentés comme opposé (les droits public et privé du travail) (II) et ce, avant d’interroger un éventuel retour du Roi / du Contrat (III).
Autre exemple :
Dernier extrait, pour le cours de droit des fonctions publiques, à paraître à l’Ajfp :
Des Employés de droit privé aux Ronds-de-cuir de droit public
L’administration décrite par Balzac est celle d’une fonction publique essentiellement contractuelle et de droit privé. Au tournant du siècle, Courteline, quant à lui, décrit un virage que la thèse d’Henri Nézard (1875-1953), Théorie juridique de la fonction publique[50],va promouvoir et que l’ouvrage d’Anna Pasquin va matérialiser : la distinction – de plus en plus nette – des employés des fonctionnaires, avec une absorption statutaire des premiers par la catégorie des seconds. Ce faisant, de Balzac à Pasquin, la place des femmes – malgré les titres d’ouvrages – y est décrite comme problématique.
Des employés aux fonctionnaires distingués
Confusion sémantique originelle. L’intérêt premier de la juxtaposition chronologique des trois « fictions publiques » ici choisies est le suivant : elles permettent d’expliquer la façon dont, en droit, on a réussi à distinguer parmi les agents publics plusieurs catégories de personnels et ce, avant que ne s’impose les statuts des années 1940 (trois lois du 14 septembre 1941 pour Vichy et loi du 19 octobre 1946 pour la Quatrième République). Il faut alors rappeler qu’avant cette époque statutaire, non seulement on employait le terme de fonctionnaire pour différentes catégories (au sens large, au sens strict ou encore contractuel et sous statut spécial et réglementaire par exemple) mais encore que même les juristes et spécialistes de fonctions publiques n’étaient pas parvenus à proposer une définition unique et assurée du terme même de fonctionnaire.
Régnait en ce temps la confusion et l’on employait, sans toujours chercher à les définir, plusieurs mots pour désigner plusieurs choses et actions. La doctrine juridique du XIXe siècle, sur ce point, tâtonnait et proposait parfois, comme chez Foucart (1799-1860), différentes théories de temps à autre même exprimées concurremment dans un même ouvrage[51].
Au cœur de cette errance notionnelle, la littérature va permettre d’affiner, quitte à la simplifier, une distinction majeure : celle des employés et des fonctionnaires proprement dits.
Des Employés hiérarchiquement exécutants. Chez Balzac comme chez Courteline, les ronds-de-cuir sont-ils des employés et non des fonctionnaires stricto sensu,c’est-à-dire qu’ils sont des agents d’une administration qui ne font qu’exécuter les ordres hiérarchiques des supérieurs qui les ont choisis et recrutés contractuellement ; seuls ces derniers sont les « véritables » fonctionnaires et les employés sont objectivement à leur service avant d’être à celui de l’intérêt général, ce qui provoque d’ailleurs, chez les trois auteurs, une dénonciation du manque d’esprit de service public, au profit de leurs intérêts propres, desdits employés. Balzac[52] écrivait alors : « en s’attachant à la chose publique, comme le gui au poirier, l’employé s’en désintéressa complètement ».
Un arrêt oublié du Conseil d’État est en phase totale avec cette opposition binaire et simplificatrice opposant des agents contractuels de droit privé (les employés) aux fonctionnaires de droit public (sans trop être sûrs, à l’époque et cela dit, de la nature du lien (contractuel ou non) les unissant à la Puissance publique) : la décision Guibert c/ caisse de retraite de la préfecture de l’Aveyron[53]. Dans cette affaire, le dénommé Guibert, qui termina sa carrière à la préfecture de l’Aveyron, avait contesté le montant de la pension de retraite qui lui était proposée car elle ne prenait pas en compte cinq années d’ancienneté qu’il avait pourtant physiquement effectuées dans les services du conseil général de l’Aveyron au cœur de la recette générale. Or, lui expliqua-t-on, lors de ses premières années auprès du département puis de la préfecture de l’Aveyron, Guibert avait été « simple employé » de plusieurs receveurs généraux de la recette départementale ; receveurs qui, eux, étaient fonctionnaires proprement dits. Ainsi, affirma le juge explicitement, « les employés des receveurs généraux ne sont que [sic] les agents des fonctionnaires qui les choisissent et les rétribuent, sans que l’administration intervienne ni dans leur nomination, ni dans le mode de leur rétribution ».Dès lors, conclut le Conseil d’État, engagé en ce sens par le commissaire du gouvernement Léon Aucoc (1828-1910), « les services rendus, en cette qualité, ne peuvent être considérés comme rendus dans une administration publique », ce qui implique que c’est avec « raison que, dans le calcul de la pension du sieur Guibert […] il n’a pas été tenu compte des cinq années passées par lui dans les bureaux de la recette générale ». Et Balzac de résumer quant à lui dans l’une des éditions remaniées de sa Femme supérieure devenue Les Employés[54] : « où finit l’employé commence le fonctionnaire, où finit le fonctionnaire commence l’homme d’État ».
En tout état de cause, chacun des trois ouvrages de notre trilogie possède ce point commun de décrire des services publics qui semblent prioritairement mus par la hiérarchie et non par leur mission.
Des nouveaux fonctionnaires annonçant les statuts. Dans Messieurs et surtout dans Ces dames les ronds-de-cuir, la distinction simpliste des employés / fonctionnaires s’affadit-elle au profit d’une notion les englobant tous et toutes : celles des ronds-de-cuir. Autrement dit, et préfigurant sur ce point les futurs statuts, quelle que soit leur place dans la hiérarchie, tous les agents d’une administration donnée, du plus petit exécutant au chef patenté, étaient assimilés à leur accessoire. Partant, l’expression de ronds-de-cuir plutôt que celle d’employés,comme historiquement chez Balzac, traduit aussi, à nos yeux, un véritablement changement juridique : celui de la montée en puissance de la thèse qu’exprimera Nézard en 1901 et que Foucart avait annoncée dans la dernière édition de ses Éléments de droit public et administratif : une vision organique très extensive de la fonction publique assimilant tout agent, quels que soient son poste et ses véritables fonctions, à l’organe administratif de puissance publique.
Ce faisant, après avoir distingué effectivement les agents en fonction matérielle de leurs missions effectives, le droit français allait-il les englober dans une conception organique qui allait peu à peu faire disparaître les liens contractuels au profit de la situation unilatérale, légale et réglementaire. C’est ce qu’annoncera, en partie, la jurisprudence Demoiselle Minaire[55] et que concrétiseront les statuts de 1940 et de 1946.
[1] Cité par : Chaffanjon Charlotte, « Emmanuel Macron fan d’Orelsan (…) » in Libération daté du 2 décembre 2021.
[2] Ibidem.
[3] « N’importe comment » ; Angst (Toxic Avengers ft. Orelsan) ; 2011.
[4] On notera, cela dit, que l’un des premiers acolytes d’Orelsan (et qui a notamment composé et produit à ses côtés) n’est autre que Skread, ancien producteur de Diam’s et pseudonyme de Matthieu (le) Carpentier (blague assumée que ne comprendront que les philosophes et théoriciens du Droit).
[5] Au magazine télévisé Quotidien le 3 décembre 2021.
[6] Par exemple au Monde daté du 20 novembre 2021.
[7] Cette évolution ressort notamment de son interview au magazine télévisé C’est à vous du 9 décembre 2021.
[8] « Changement » ; Perdu d’avance (Orelsan) ; 2009.
[9] « L’odeur de l’essence » ; Civilisation (Orelsan) ; 2021.
[10] Elle est ainsi évidente dans la série Le Baron noir à propos de laquelle on a proposé ce même « jeu » entre dénonciation des « maux » et propositions conséquentes de « mots » nouveaux. Cf. Touzeil-Divina Mathieu, « Une leçon de droit constitutionnel sur les maux & les mots de la Cinquième République » in Considérant ; 2022 (en cours avec quelques reprises).
[11] « Suicide social » ; Le chant des sirènes (Orelsan) ; 2011.
[12] « Lève les draps » ; Bad cowboy (Seth Gecko feat. Orelsan) ; 2013.
[13] « A qui la faute ? » ; J’rap encore (Kery James feat. Orelsan) ; 2018.
[14] « Go go gadget » ; Extra-lucide (Disiz la peste feat. Orelsan) ; 2012.
[15] Carcassonne Guy, « Penser la Loi » in Pouvoirs ; 2005, p. 39 et s.
[16] « Élections » ; Piège de Freestyle #5 (Youssoupha, Nemir, Greg Frite feat. Orelsan) ; 2012.
[17] « Toujours plus » ; Sex in the City (Lorezno feat. Orelsan) ; 2019.
[18] « Plus rien ne m’étonne » ; Le chant des sirènes (Orelsan) ; 2011.
[19] « L’odeur de l’essence » ; Civilisation (Orelsan) ; 2021.
[20] Chiffres du Ministère de l’Intérieur (2017).
[21] « Lève les draps » ; Bad cowboy (Seth Gecko feat. Orelsan) ; 2013.
[22] « Raelsan » ; Le chant des sirènes (Orelsan) ; 2011.
[23] « Courage fuyons » ; Protest Song (Médine feat. Orelsan) ; 2013.
[24] « L’homme sociable […], ne sait vivre que dans l’opinion des autres et c’est pour ainsi dire de leur seul jugement qu’il tire le sentiment de sa propre existence ». Plutôt que de « vivre dans l’opinion des autres » à l’instar d’ovidés, nous dit-on, ne serait-il pas temps de nous lever et de penser par nous-mêmes au lieu de répéter servilement ce qui nous a été appris. Cf. Rousseau Jean-Jacques, Œuvres de Rousseau de Genève (…) ; Amsterdam, Rey ; 1772 ; Tome II ; Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes ; p. 19.
[25] « Avf » ; Racine carré (Stromae feat. Orelsan & Maître Gims) ; 2013.
[26] Ce que l’on retrouve par exemple sous la plume de : Wodrascka Alain, Orelsan, le Rimbaud du rap. Biographie ; Paris, l’Archipel ; 2021 ; p. 173 : « penseur et anarchiste à sa façon (sic) ».
[27] « Élections » ; Piège de Freestyle #5 (Youssoupha, Nemir, Greg Frite feat. Orelsan) ; 2012.
[28] « Potentiel » ; 3 du mat (Lefa feat. Orelsan) ; 2018.
[29] Wodrascka Alain, op. cit. ; p. 8.
[30] Long Marceau, Weil Prosper, Braibant Guy, Delvolvé Pierre & Genevois Bruno, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative ; Paris, Dalloz ; 22e éd. ; 2019. Sur l’ouvrage et ses évolutions, on lira avec profit Cossalter Philippe, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative ; mémoire de Dea ; Université Paris II ; 1999.
[31] Dont les actes ont été partiellement reproduits in Rfda 2007 ; n°02.
[32] Historiquement, notons ainsi : Souty Pierre, Petit recueil de jurisprudence en matière administrative ; Paris, Domat – Montchrestien ; 1946, 3e éd. et plus récemment : Colin Frédéric, L’essentiel des Grands arrêts du Droit administratif ; Paris, Gualino ; 2019, 11e éd. ainsi que Ricci Jean-Claude, Mémento de la jurisprudence – Droit administratif ; Paris, Hachette ; 2016 ; 11e éd.. Il existe même plusieurs éditions précédentes de : Lachaume Jean-François, Pauliat Hélène, Braconnier Stéphane & Deffigier Clotilde, Droit administratif ; les grandes décisions de la jurisprudence ; Paris, Puf ; 2017 ; 12e éd.
[33] La vidéo par Pierre-Axel Vuillaume-Prézeau dite du « Gaja effect »a ainsi connu un succès mérité :
[34] Pierre Eugène, Traité de droit politique, électoral et parlementaire ; Paris, Librairies-Imprimeries Réunies ; 1902 (2e éd.). Il faut lire à son égard la très belle thèse de doctorat de : Meyer Maxime, Gouverner les gouvernants : Eugène Pierre (1848-1925), le droit parlementaire au service de la République ; Université Toulouse 1 Capitole ; 2019.
[35] Long Marceau, Weil Prosper & Braibant Guy, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative ; Paris, Sirey ; 1ère éd. ; 1956.
[36] « Trois anneaux pour les rois Elfes sous le ciel, sept pour les Seigneurs Nains dans leurs demeures de pierre, neuf pour les Hommes Mortels destinés au trépas » rappelle Tolkien aux débuts de la Communauté de l’Anneau. On se base ici sur la traduction en français de Francis Ledoux. On préférera cependant toujours citer ici le plus possible Tolkien dans le texte et ce, à partir de l’édition révisée par Christopher Tolkien : Tolkien J. R. R., The Lord of the Rings ; Grafton ; 1992, p. 64 : « Three Rings for the Elven-kings under the sky, seven for the Dwarf-lords in their halls of stone, nine for mortal men doomed to die ».
[37] On lira à cet égard : Tolkien J. R. R., Bilbo’s last song ; Red fox ; 1992.
[38] Sur ces premiers « âges » de la fonction publique, il faut lire les deux premiers tomes de : Pinet M. (dir.), Histoire de la fonction publique en France ; Labat ; 1993.
[39] Dès 1981 avec la décision adoptée en conseil des ministres, le 7 octobre 1981, de modifier l’art. 7 de l’ordonnance 50-244 du 4 février 1959 relative au Statut général des fonctionnaires et ce, jusqu’au quatre Lois portant Statut : Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (loi dite Anicet Le Pors) (Titre I du Statut) ; Loi n°84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relative à la fonction publique de l’État (Titre II du Statut) ; Loi n 84-53 du 26 janvier 1984 portant disposition statutaires relatives à la fonction publique territoriale (Titre III du Statut) et Loi n°86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions relatives à la fonction publique hospitalière (Titre IV du Statut).
[40] Il s’agit de la définition que l’on en a donnée in Dictionnaire de droit public interne ; LexisNexis ; 2017 ; p. 460.
[41] Il a déjà beaucoup été écrit sur les parallèles fictifs ou supposés réels entre l’Anneau de Tolkien et ceux d’autres mythes (bibliques notamment). On a ainsi longtemps glosé sur les liens supposés entre le Tolkien’s ring et celui, lyrique, de Wagner (1813-1883) : der Ring des Nibelungen. Toutefois, la plupart des « fans » de Tolkien réfutent cette parenté. On lira en ce sens le très bel ouvrage, accompagné des œuvres graphiques d’Alan Lee : Day D., Tolkien’s Ring ; Harper Collins ; 1994.
[42] Au même Dictionnaire, on l’a défini ainsi : « agent public recruté par une personne publique titulaire d’un grade de la hiérarchie administrative qui lui donne vocation à occuper – a priori à temps complet – un emploi permanent dans lequel il est nommé et ce, en voyant son régime juridique posé, de façon légale et réglementaire (et donc unilatérale), par un Statut. Les fonctionnaires sont a priori (mais ce n’est malheureusement pas un principe constitutionnel) recrutés par concours (et non par contrats d’où leur nomination) et ils ont vocation à faire carrière. On notera que tous les agents publics ne sont pas stricto sensu des fonctionnaires » ; op cit. ; p. 191.
[43] En incipit de la version anglaise préc. : « One Ring to rule them all, one Ring to find them. One Ring to bring them all and in the darkness bind them ». Ce qui donne en elfique : « Ash nazg durbatulûk, ash nazg gimbatul, Ash nazg thrakatulûk agh burzum-ishi krimpatul ».
[44] Il est notamment reproduit au Recueil dit de Beauchamp ; Delalain, 1889 ; T. I ; p. 521.
[45] Sur leurs premiers états : Code administratif des hôpitaux civils (…) de la ville de Paris ; Huzard ; 1824.
[46] On aurait également pu envisager de parler de la jurisprudence dans la fiction ne serait-ce que parce que, à la fin des « deux Tours », lors de la Battle of the Hornburg, il est fait allusion à un « lancer de nains » qui n’est pas sans évoquer CÉ, Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge (Req. 136727). Toutefois, sauf erreur, la mention n’existe que dans le film et non (en tout cas nous ne l’avons pas trouvée) dans l’écrit originel.
[47] « Rêver un impossible rêve : à propos du régime parlementaire (…) en Méditerranée » in Rmdp 3 ; 2015 ; p. 37.
[48] « La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés. Mais elle n’est pas toujours dans les États modérés. Elle n’y est que lorsqu’on n’abuse pas du pouvoir : mais c’est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le dirait ! La vertu même a besoin de limites. Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » (De l’Esprit des Lois ; 1748 ; Livre XI, Chapitre IV).
[49] Ainsi, dans le Seigneur des Anneaux, alors que le lecteur n’est pas nécessairement en empathie avec le perfide Gollum (alias Smeagol), il se retrouve in fine bien heureux de ce que ce personnage « contre-pouvoir » de l’Anneau ait été là pour sauver Frodo… et le monde !
[50] H. Nézard, Théorie juridique de la fonction publique, Paris, Larose, 1901.
[51] Comme dans la dernière édition de É.-V.-M. Foucart, Éléments de droit public et administratif, Paris, Marescq, 1855 (4e éd.), spéc. t. I, § 135 s. À son sujet, v. M. Touzeil-Divina, Un père du droit administratif moderne : le doyen Foucart (1799-1860) […], Paris, LGDJ, 2019, p. 204 s.
[52] La femme supérieure, op. cit., p. 21.
[53] CE 28 nov. 1867, Guibert c/ caisse de retraite de la préfecture de l’Aveyron, Lebon 883.
[54] H. de Balzac, Les Employés (ou la Femme supérieure), Paris, Houssiaux, 1855, p. 327.
[55] CE, sect., 22 oct. 1937, Lebon 843 ; à son sujet, on se permettra de renvoyer à : Un avant-goût « républicain » du Statut de 1941 : les fonctions publiques dans « la grange » du Conseil d’État, in Les grands arrêts politiques de la jurisprudence administrative, Paris, LGDJ ; 2e éd., 2023, p. 515 s.